Si la Saline Royale d'Arc-et-Senans est un ensemble de bâtiments fonctionnels, c'est aussi une architecture remarquable et nouvelle. Son architecte, Claude-Nicolas Ledoux, a cherché à créer un ouvrage alliant rationalité et esthétisme.
La Saline Royale adopte un plan en demi-cercle (de 185 mètres de rayon), pareil à la courbe « que décrit le soleil dans sa course » (Claude-Nicolas Ledoux). Cinq bâtiments dessinent cet arc et cinq autres son diamètre. Entre eux, neuf allées en rayon découpent l'espace intérieur, convergeant à la maison du directeur, au centre de l'hémicycle.
En plus d'un aspect esthétique indéniable, la configuration spatiale permet de répondre à des exigences techniques. Les déplacements entre les bâtiments sont réduits par leur disposition en demi-cercle et par le choix judicieux de leurs positions relatives. Par ailleurs, l'isolement des bâtiments les uns par rapport aux autres obéit à des contraintes de sécurité et de salubrité. La propagation d'éventuels incendies est ainsi évitée, tandis que l'air circule librement tel que le prône l'obsession hygiéniste de l'époque.
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La Saline Royale est aussi une œuvre architecturale, marquée par l'expression artistique de son architecte. Claude-Nicolas Ledoux compose une mise en scène monumentale empreinte de rationalité et de symbolisme. Inspiré par les grands modèles de l'Antiquité, il en adopte les principes géométriques et la rigueur. Du site lui-même aux bâtiments, les formes arborent une parfaite régularité. Voûtes en plein cintre, frontons triangulaires, colonnes, refends (lignes taillées pour marquer les assises de pierres)... sont autant d'éléments redondants qui donnent son harmonie à la manufacture royale.
Ledoux est aussi un artisan de la lumière. Il manie les formes et les textures des pierres, pour créer un dessin changeant d'ombres et de lumières. Lisses ou rugueuses, rondes ou carrées, saillantes ou en creux, les pierres offrent une surface toujours différente aux rayons du soleil, entrant dans un jeu permanent avec l'astre céleste.
Lumineuse, spacieuse et parfaitement ordonnée, la Saline Royale semble obéir au règne de la raison et marquer une profonde distinction avec la Grande Saline de Salins‑les‑Bains, à l'architecture stratifiée par des siècles d'évolutions.
Le parti pris architectural sobre et puissant choisi par Ledoux affirme aussi la puissance absolue de la royauté. La maison du directeur, représentant du roi, est à ce titre, l'objet de tous les égards. Des colonnes ornent sa façade, lui offrant une assise impressionnante et imposante, symbole de l'autorité. La hauteur de l'édifice surpasse également celle des autres constructions, lui procurant un effet dominant, déjà figuré par sa position centrale dans le plan général de la saline. Plus encore, l'oculus, au centre du fronton, symbolise à lui seul l'omniscience du maître qui voit et surveille tout, tel un être suprême.
La maison du directeur accueille d'ailleurs une chapelle, où s'exprime là encore le joug de la domination et des inégalités. Les autorités assistent aux offices (obligatoires) depuis une tribune et des galeries tandis que les ouvriers sont installés dans un immense escalier servant de nef, le regard dirigé vers l'autel situé à son sommet.
Tout semble finalement traduire l'ancrage de Ledoux et de la saline dans l'Ancien Régime, sa religion et son organisation hiérarchique.
La réalisation de la Saline Royale d'Arc‑et‑Senans est aussi l'occasion pour Ledoux de s'illustrer en tant qu'urbaniste. Plus qu'une usine, la saline accueille aussi les logements de son personnel. Ouvriers, artisans, personnels administratifs, direction... chacun dispose d'un logement pour lui et sa famille. Des bâtiments différents abritent chaque corps de métier, au plus près de ses ateliers de production ou de ses bureaux. Les ouvriers et leurs familles logent ainsi dans les berniers, les deux bâtiments les plus proches des ateliers de fabrication du sel. Les artisans, tonneliers et maréchaux-ferrants, occupent des bâtiments identiques, au cœur desquels se trouvent la forge et l'atelier de fabrication de tonneaux. Le personnel administratif habite les commis ouest où ils ont leurs bureaux. Avec ce système paternaliste, la Saline Royale devient une des réalisations annonciatrices des maisons et cités ouvrières de l'ère industrielle.
Les logements ouvriers comportent douze chambres de quatre lits et une grande salle commune pourvue de cuisines et d'une énorme cheminée. A l'extérieur, des jardins potagers sont aménagés pour les ouvriers. Pour Ledoux, ces habitations sont d'heureux foyers permettant aux hommes de jouir d'une vie saine et morale. Ils vivent à la campagne, entourés de leur famille, avec le loisir de jardiner ou de se retrouver entre amis pour des veillées autour de la cheminée centrale.
Mais la réalité est toute autre et l'heureux foyer du travailleur semble bien être une vision idyllique de l'architecte. Les ouvriers sont surexploités et sous-payés et leurs conditions de vie sont finalement médiocres. Les logements sont petits, mal chauffés et manquent de lumière. La seule cheminée centrale devait par exemple suffire à chauffer l'ensemble des locaux. Mais la rigueur des hivers franc‑comtois fit revoir ses plans à Ledoux et aménager davantage de cheminées.
Malgré les vertus de son architecture, la Saline Royale n'est pas un chef‑d'oeuvre aux yeux de tous. A l'intérieur comme à l'extérieur, elle est la source de griefs et d'une hostilité marquée. En témoignent le contenu des cahiers de doléances. Il faut dire que la Saline Royale est le cœur d'un système politique oppressif à l'emprise aussi bien économique, fiscale que géographique. A l'impôt sur le sel, partout haï, s'ajoutent ici des abus liés à l'exploitation forestière. La saline procède à des expropriations et transgresse les droits d'usages communautaires. Par les passages répétés de ses chariots sur les routes, elle dégrade aussi les chaussées, perturbant les activités des autres utilisateurs. Symbole par excellence de l'arbitraire et de l'absolutisme, la saline sacralise de nombreuses tensions.
